Follow by Email
Facebook
Twitter
LINKEDIN

Pour alimenter ses thèses critiques, Grégoire Perra, le détracteur le plus acharné en France du courant de pensée appelé « anthroposophie », n’hésite pas à manipuler des citations pour construire artificiellement le mythe d’un endoctrinement sectaire. C’est ce que nous avons démontré dans une précédente publication. Dans ce nouvel article, Pierre Bercut, spécialiste de la pédagogie Steiner-Waldorf (et qui tient également la chaîne YouTube Prométhéum), met au jour les biais intellectuels fallacieux utilisés par Grégoire Perra dans ses analyses. Il étudie deux de ses articles de blog[1] pour montrer comment il s’y prend pour conduire son lecteur là où il le souhaite, indépendamment de toute réalité.

Pierre Bercut

23 novembre 2019 – En 2013, l’école Steiner de Verrières-le-Buisson diffuse une affiche à l’occasion de sa journée portes ouvertes, intitulée « J’aime mon école ! » (ci-dessous) Somme toute terriblement banale du point de vue publicitaire, cette affiche provient cependant d’une école Steiner-Waldorf, ce qui alerte aussitôt Grégoire Perra. Ce dernier se propose alors d’en produire pour ses lecteurs une analyse détaillée, en posant d’emblée l’idée d’une dissimulation : « Mais que se cache-t-il sous une telle affiche aux abords attractifs et séduisants ? Pouvons-nous, en l’observant, percer les apparences jusqu’à la réalité qui se cache derrière, et non celle qui voudrait être mise en avant ? » [2]

Affiche Verrières-le-Buisson Grégoire Perra redacteur-indépendant.ch

Affiche publicitaire de l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson, analysée de manière fallacieuse par Grégoire Perra.

 

Aimer son école, une anomalie?

Grégoire Perra relève un slogan qui « va à contre-courant » : aimer son école c’est suspicieux. « Pourquoi une telle déclaration d’amour !? Normalement les enfants disent « J’suis malade ! J’veux pas y aller ! » ».

Il essaie de montrer qu’il est anormal d’aimer son école et qu’une école normale, et donc saine, est celle dont les enfants vont jusqu’à s’inventer une maladie pour ne pas y aller. Il questionne ensuite : « N’est-il pas en effet suspect qu’un élève en vienne si tôt dans sa vie à prendre fait et cause pour l’institution qui le scolarise ? Cela ne traduit-il pas chez l’enfant un investissement affectif disproportionné ? » [3]

Grégoire Perra continue à creuser. Il se dit que pour qu’un enfant aime son école, c’est nécessairement « qu’on lui a fait percevoir son école comme étant « à part », « différente », « pas comme les autres » ». Les pédagogues Steiner-Waldorf sont habiles, nous a-t-il dit précédemment. Il infère la manipulation mentale, laquelle apparaît, chemin faisant, intentionnelle, calculée… anthroposophique.

Récapitulons : Grégoire Perra est parti de l’intitulé d’une affiche. S’appuyant sur un fait qui normalement devrait être au crédit d’une école, à savoir que les enfants s’y plaisent, il projette une formule d’affiche comme s’il s’agissait d’une réponse émanant telle quelle de la bouche d’un enfant. De liens en liens, cette simple réponse supposée se transforme progressivement en « une déclaration d’amour », un « investissement affectif disproportionné », lequel devient : « le signe d’une dérive ».

Certes, tous les enfants du monde, lorsqu’ils parlent de leur école, disent « mon prof, mon école… ». Mais lorsqu’il s’agit d’un élève d’une école Steiner-Waldorf, l’utilisation du pronom « mon » révèlerait un symptôme inquiétant d’appropriation affective… C’est pourquoi Grégoire Perra déplore : « Si le public regardait ce genre de campagne publicitaire avec davantage de sagacité, celle-ci ne constituerait pas une promotion efficace, mais un signal d’alerte inquiétant ». Il suffit en effet d’être éveillé…

Manipulation de l’enfant roi ?

Grégoire Perra regarde ensuite la photo de cet enfant coiffé d’une couronne en carton : « Ne devrait-on pas trouver étrange cette représentation d’un enfant coiffé d’une couronne et drapé d’une cape rouge, à l’image d’un enfant roi ? Ne pourrait-on y voir aussi le symbole d’une volonté d’ancrer le psychisme de l’élève dans le moyen âge… ». Tout ceci afin de montrer que toute la pédagogie Steiner-Waldrof est moyenâgeuse, anti-moderne.

Mais ce n’est pas tout, citons la suite de la phrase : « … comme le font aussi certaines obédiences d’extrême-droite ? ». Grégoire Perra sait très bien qu’en faisant une telle allusion (qui n’a aucun fondement réel), il sollicite un sentiment très précis chez ses lecteurs. Par ce procédé, il ne fait pas appel à la pensée ou à la raison de ces derniers, mais à des ressentis suscités de façon subliminale, qui ne manqueront pas d’engendrer animosité et rejet envers les écoles Steiner-Waldorf et l’anthroposophie.

Dans son traitement de l’affiche de Verrières-le-Buisson, Grégoire Perra ne souhaite visiblement pas percer les apparences à moitié : « L’enfant qui dit « j’aime mon école ! » plutôt que « j’aime ma maman ! » témoigne de ce qu’on a substitué dans son esprit ce qui devrait normalement revenir à sa mère… ». Ici, la compréhension logique nous échappe : le fait de dire « j’aime mon école » est-il contradictoire avec le fait d’aimer sa maman ? Serait-ce nécessairement soit l’un, soit l’autre ? À moins que Grégoire Perra ne veuille dire que lorsque l’on demande à un enfant « Est-ce que tu aimes ton école ? », il devrait normalement répondre « Ah non, j’aime ma maman. »

Ne pinaillons pas sur des détails et voyons où Grégoire Perra veut, depuis le début, en venir : « On a posé sur sa tête une couronne de pacotille qui lui procure l’impression d’être un roi, alors qu’il s’agit en réalité d’un joug par lequel les anthroposophes pourront un jour contrôler son esprit ».

Que penser d’une telle analyse, et peut-on appeler cela une analyse ? Entre l’affiche et les conclusions de Grégoire Perra, il n’y a tout simplement pas un seul élément qui prenne racine dans une quelconque réalité. Il n’y a que des spéculations, des insinuations, des liens conceptuels totalement artificiels. Au lieu de mener une analyse s’appuyant sur des éléments réels, c’est bien plutôt l’auteur qui semble mené par l’idée qui l’habite, le conduisant à déployer une logique déterminée à l’avance. Gageons qu’une autre affiche, n’importe laquelle, aurait abouti strictement aux mêmes conclusions.

Extrapolations délirantes

Voici un autre exemple particulièrement édifiant de ce type d’analyse. Dans un article publié le 14 décembre 2014 et intitulé « D’où vient la sagesse des anthroposophes ? », Grégoire Perra se propose d’édifier son lecteur sur une question particulièrement délicate : un témoignage positif venant d’une de ses amies ayant eu affaire à un médecin anthroposophe.

Grégoire Perra commence d’abord par prévenir son lecteur qu’il est tout à fait possible de trouver des personnes touchées par « la bonté, la sagesse, l’humanité authentique » de certains « anthroposophes ». Mais pour lui, il est absolument clair que de tels attributs sont structurellement contradictoires avec l’état d’anthroposophe.

Une sagesse manipulatoire ?

C’est pourquoi il s’interroge : « d’où procède cette « sagesse anthroposophique » qui semble s’offrir si généreusement à ceux qui parfois en bénéficient […] Un exemple permettra de mieux comprendre mon propos. Une amie m’a raconté dernièrement qu’elle consultait un médecin anthroposophe et que celui-ci l’avait réellement aidée, par son écoute et par ses propos, à se rebâtir elle-même… les propos tenus et l’écoute de ce médecin anthroposophe étaient selon elle d’une grande justesse et d’une profondeur certaine, qui l’ont énormément aidé. »

Sans aucune transition conceptuelle Grégoire Perra enchaîne : « Cette manière de procéder est typique des anthroposophes. […] ». Là encore le suivi logique semble flottant : quelqu’un vient vous dire d’une personne appartenant au parti socialiste, qu’elle est formidable, humaine et qu’elle l’a beaucoup aidé…  Conclusion : cette manière de procéder est typique des socialistes !?

Toujours est-il qu’il y a anguille sous roche. Par définition, selon Grégoire Perra, un anthroposophe ne peut pas développer l’empathie lui permettant une relation thérapeutique saine et authentique[4]. Il pense alors :  « Il y a […] avec l’anthroposophie une volonté de discrétion d’une part, de disponibilité envers autrui d’autre part, qui peuvent être confondantes et qui tranchent avec les attitudes des autres sectes ».

Un psychisme «dérangé» et «pervers» ?

Grégoire Perra apporte un premier élément de réponse quant à cette supposée sagesse : « Mais on commence à s’apercevoir que les choses ne sont pas si nettes qu’elles n’y paraissent quand on comprend que cette « sagesse » tombe la plupart du temps dans des psychismes profondément dérangés, voire pervers (ceux des médecins). Le propos peut certes être authentique, mais la personne qui les tient ne l’est pas. Les paroles de l’anthroposophe sont sages, mais l’anthroposophe qui les prononce est souvent fou. »

Pas toujours, mais souvent. Malgré cette marque rare d’indulgence, Grégoire Perra dévoile avec une acuité bien coutumière ce que les autres ne sauraient percevoir : « L’anthroposophe (nda : donc pas un individu précis mais le type anthroposophe, car ils sont tous identiques) sait s’effacer quand il est ainsi traversé par les propos qu’il tient. Mais en réalité, il s’agit d’une sorte de piège, de séduction subtile. ».

Quelle est donc la réalité de Grégoire Perra ? Bien qu’absent des entretiens, ce dernier se sent habilité à déduire : « D’où venait la « sagesse » et l’humanité de ce médecin anthroposophe ? Absolument pas de l’anthroposophie ni de son propre fond personnel, mais probablement tout simplement de la personne qu’il avait en face de lui au moment où ils échangeaient et dont il avait la capacité de capter intuitivement les paroles qui étaient « en attente » au fond d’elle-même… ».

Un «vampirisme spirituel» ?

Nul besoin en effet de savoir autre chose que le simple fait qu’il s’agit d’un médecin anthroposophe. Cette indication lui suffit à elle seule pour conclure : « … Car c’est bien ce que développe à mon sens l’anthroposophie en matière de « perceptions spirituelles » : la capacité intuitive de s’emparer de la sagesse dormante d’autrui pour la lui présenter en miroir, afin de le subjuguer. À mon sens, on devrait ici parler de « vampirisme spirituel«  ».

C’était donc cela qu’il y avait derrière « la sagesse et l’humanité » de ce médecin ! Le lecteur ainsi éclairé par Grégoire Perra réalise que cette amie qui croyait naïvement avoir été aidée par un homme sincère et compétent a en réalité été abusée, spirituellement « vampirisée ».

A travers l’exemple de ces deux articles, nous pouvons voir le processus logique des prétendues analyses de Grégoire Perra. D’une simple affiche d’école, ce dernier conduit son lecteur à des concepts bien précis et bien ciblés : obédience d’extrême-droite, ancrage du psychisme de l’élève dans le Moyen Âge, substitution affective de ce qui revient normalement à la mère vers l’institution et bien entendu joug par lequel les anthroposophes pourront un jour contrôler l’esprit des enfants. Car tel est bien, pour Perra, le but ultime de la pédagogie Steiner : contrôler l’esprit des enfants.

Quitter le terrain du réel

Il devient tout à fait visible que Grégoire Perra quitte le terrain du réel pour façonner un chemin conceptuel obéissant à sa logique, tracée à l’avance, invariablement la même. Peu importe finalement l’objet, que ce soit une affiche ou autre chose, le résultat sera toujours le même. Que l’on retire la couronne à l’enfant et qu’on le montre en écolier bien studieux, qu’on le montre de face, de profil ou de dos, Grégoire Perra sera là pour « percer les apparences » que nul autre, avant lui, n’avait pu percevoir.

Et il en va de même pour le témoignage de son amie, lui confiant qu’un médecin anthroposophe ayant de profondes qualités humaines, l’a aidée à se reconstruire. Grégoire Perra part de cette seule confidence, et ne s’enquiert ni ne se préoccupe plus le moins du monde de la teneur des entretiens, de la nature de l’acte thérapeutique du médecin ni de la valeur de l’expérience humaine de son amie. Le médecin est rapidement spolié de tout caractère humain puisqu’il ne s’agit nullement de sa sagesse propre mais d’un vol psychique, réduit au concept générique « d’anthroposophe fou au psychisme pervers ». Il est destitué de son acte thérapeutique puisque ne faisant qu’utiliser une technique, un procédé.

Que le lecteur reprenne la citation du début relative au témoignage de son amie lui confiant qu’un médecin anthroposophe « l’avait réellement aidée, par son écoute et par ses propos, à se rebâtir elle-même… Les propos tenus et l’écoute de ce médecin anthroposophe étaient selon elle d’une grande justesse et d’une profondeur certaine, qui l’ont énormément aidé. » Et qu’il lise, quelques paragraphes plus tard, comment Grégoire Perra a conduit son public jusqu’à un « procédé qui consiste à aller voler à l’intérieur de la personne ce que l’on va ensuite lui restituer en s’en octroyant la paternité, pour en tirer des bénéfices. »

Il ne s’agit que de quelques exemples de sa technique consistant à s’appuyer sur un fait réel pour le façonner à sa guise et le conduire vers une conclusion venant soutenir ses thèses. Grégoire Perra sait bien que le public ne dispose pas des éléments lui permettant de déceler de tels procédés. C’est pourquoi il nous tient tant à cœur de les lui fournir.

 

Notes:

[1] « J’aime mon école » et « D’où vient la sagesse des anthroposophes ? »

[2] Grégoire Perra, « J’aime mon école, analyse d’une affiche de la Fédération des écoles Steiner-Waldorf », 13 février 2013. Nous invitons les lecteurs à prendre connaissance de cet article, pour constater par eux-mêmes que les citations que nous en avons extraites ne trahissent en aucun cas l’article de Grégoire Perra.

[3] Tous les gras dans les citations sont de nous.

[4] Il s’agit de la conférence d’octobre 2018 intitulée « Mon expérience de la médecine anthroposopique », au cours de laquelle Grégoire Perra a explicitement affirmé que le phénomène de perte de l’empathie était inhérent au statut de médecin anthroposophe.

 

Follow by Email
Facebook
Twitter
LINKEDIN