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Le transhumanisme, dont l’ambition est d’améliorer la condition humaine grâce aux technologies, semble chaque année plus présent en France. Très actif dans les pays anglo-saxons, il est représenté dans l’Hexagone par l’Association française transhumaniste (AFT). (Article paru à l’origine sur Hexagones.fr) C’est au premier étage du « Coup d’État », un petit café de la rue Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement de Paris, qu’ont lieu les rencontres bimensuelles de l’Association Française Transhumaniste (AFT). « Ce café est devenu notre QG », glisse en souriant à l’oreille David Latapie, son trésorier. Aujourd’hui, la discussion porte sur le thème : « Du Wearable computing à l’exosquelette », et rassemble une quinzaine de personnes, pour la plupart membre de l’AFT. Au mur, une série de diapositives, support à la discussion, est projetée sur un écran. Autour de quelques consommations, la rencontre se déroule sous forme de conversation, en toute décontraction, entre passionnés de technologie. Le transhumanisme est un courant de pensée issu de la cyberculture des années 1970 et 1980, qui s’est développé d’abord principalement aux États-Unis et dans les pays scandinaves. Il vise, par application des technologies à l’être humain, à transformer ce dernier, dans le but in fine d’améliorer la condition humaine. Il considère ainsi le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort comme inutiles et indésirables, et comme des défauts humains à supprimer. Très présents outre-Atlantique dès les années 1990, les premiers groupes et structures n’apparaissent en France qu’au début des années 2000, sur la toile. Ce n’est que depuis quelques années que le mouvement se fait de plus en plus présent dans l’hexagone, où ses idées sont discutées et promues par un nombre croissant d’acteurs. En France, s’intéresser aux structures véhiculant les conceptions transhumanistes conduit inévitablement, et en premier lieu, à l’AFT. Relativement inconnue du grand public, cette association est le seul organe dans l’Hexagone à promouvoir ouvertement le transhumanisme. « Nous considérons son avènement comme inéluctable. Notre but est donc de susciter le débat pour que le grand public et les décideurs politiques soient informés, puissent s’emparer de la question, et réfléchir aux enjeux futurs, sociaux et environnementaux, posés par le mouvement », explique David Latapie en marge de la rencontre de l’association à Paris.

Logo de l’association française de transhumanisme. © AFT

L’AFT est relativement jeune. Son statut associatif remonte à 2010, et sa création en tant que groupe, alors appelé « Technoprog ! », date de 2007. « Tout est parti de la constatation d’un manque structurel dans le pays», expose Stéphane Gounari, un des cofondateurs. «Dans un premier temps, il s’agissait de rencontrer et fédérer des individus qui s’y intéressaient, puis d’intégrer le groupe aux structures transhumanistes mondiales. » Aujourd’hui, l’AFT compte près de 400 membres, mais la plupart ne sont que « consommateurs d’informations », précise Marc Roux, l’actuel président de l’AFT, via Skype depuis sa résidence en Grèce. « Le noyau dur de l’association est composé d’environ vingt à trente personnes, qui sont actives de façon permanente », ajoute-t-il. « Et notre budget annuel dépasse difficilement les 1000 euros ». Rien de démesuré, donc, pour une association qui reste encore très modeste et ne bénéficie pas de soutiens institutionnels ou privés. Son influence reste marginale. Elle se réduit presque exclusivement à la région parisienne, avec les rencontres et conférences H+Paris. Quelques initiatives éparses commencent à voir le jour du côté de Lyon et de Rennes, ou une poignée de personnes cherchent à ouvrir des antennes locales. Mais en terme d’influence, rien de flamboyant. « Cela reste quasi nul », avoue honnêtement Marc Roux. Stéphane Gounari, l’un des deux fondateurs initiaux, qui vit maintenant en Irlande, reconnaît sans pour autant critiquer ce que fait actuellement l’AFT, qu’avec plus de maturité « si c’était à refaire, je monterais quelque chose de bien plus efficace. En m’associant à des publications et avec des scientifiques au passé solide, par exemple. Il est encore un peu tôt, en France, pour faire des propositions concrètes, car il n’y a pas encore de technologie transhumaniste forte, mais il est possible de faire de la prospective. Il faudrait en faire plus. » Reste que le nombre de membres est en constante augmentation. Aujourd’hui, l’AFT s’active à avoir l’oreille de personnes haut placées dans le gouvernement ou dans la sphère économique. Si elle cherche à gagner de l’influence, c’est pour satisfaire son ambition « d’améliorer la condition sociale et biologique de l’être humain, notamment en allongeant radicalement la durée de vie en bonne santé », précise le site de l’association. Cette dernière tente ainsi de « promouvoir les technologies qui permettent ces transformations tout en prônant une préservation des équilibres environnementaux, une attention aux risques sanitaires, le tout dans un souci de justice sociale ». Certains membres préconisent par exemple la mise en place d’un programme scolaire de sensibilisation et d’habituation des plus jeunes aux nouvelles technologies. L’association agit aussi parallèlement pour impliquer la société civile dans les décisions qui sont prises en termes d’ »augmentation » et d’ »amélioration » humaine. L’idée est d’encourager le gouvernement à favoriser légalement la recherche scientifique et l’entrepreneuriat permettant de développer les nouvelles technologies (thérapies géniques, bioniques, neurosciences, etc.) nécessaires aux ambitions transhumanistes. Développer le transhumanisme en développant les NBIC En marge de l’AFT existent aussi en France d’autres structures non explicitement transhumanistes, mais certainement plus influentes, et dont l’activité pourrait permettre à terme, même indirectement, la réalisation de certains projets issus de la mouvance (comme repousser la mort, supprimer les maladies congénitales, augmenter les capacités physiques et mentales, télécharger la conscience sur un support informatique, etc.). C’est le cas des écoles ou des laboratoires de recherche dont les travaux se rapportent de près ou de loin au développement des technologies convergentes, les fameuses NBIC (Nanotechnologies, Biochimie, sciences de l’Information et de la communication, et sciences cognitives). Dans l’absolu, si ces développements scientifiques ne sont pas en eux-mêmes du transhumanisme, ils permettent néanmoins potentiellement sa réalisation concrète. C’est en tout cas la conclusion d’un rapport publié en 2002 par la National Science Foundation et la Chambre du commerce américaine, intitulé Converging technologies for improving human performance. Dans ce rapport, conduit par William S. Bainbridge, un sociologue lié aux milieux transhumanistes internationaux, est fait explicitement mention, et pour la première fois, du potentiel des NBIC en vue d’« améliorer les performances humaines grâce à l’intégration technologique », un des buts centraux des projets transhumanistes. « On peut considérer le projet (de la convergence technologique nano-bio-info-cogno, NDLR) comme la première pierre officielle de ce que ses adeptes conviennent de nommer transhumanisme », précise Jean-Didier Vincent, professeur à l’université de Paris Sud-Orsay, et directeur de l’Institut de neurologie Alfred Fessard, lors d’une audition parlementaire en 2008 sur les avancées scientifiques et les enjeux éthiques des neurosciences. Ces laboratoires dont les recherches portent sur les NBIC, il y en a deux principaux en France, tous deux issus du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) de Grenoble : Minatec et Clinatec. Ces deux centres de recherche, fortement liés au monde industriel, ont été créés sur l’impulsion de Jean Therme, le directeur du CEA de Grenoble.

Minatec est un laboratoire de recherche faisant partie du CEA de Grenoble, et spécialisé dans le développement des nanotechnologies, le N des NBIC.© DR

Fondé en 1999, Minatec est un « campus d’innovation en micro et nanotechnologies », et emploie 2400 chercheurs et 600 experts spécialistes du transfert technologique, qui disposent d’un budget annuel de 300 millions d’euros. Sur son site internet, Minatec se targue aussi d’être le plus grand centre de recherche en nanotechnologies d’Europe, et un des plus importants dans le domaine au niveau international. Difficile cependant de savoir quelles sont les recherches concrètes qui y sont menées. Cette opacité se retrouve également autour de Clinatec, créé plus récemment, fin 2011. Dans ce centre, on s’occupe principalement de développer la biologie synthétique et les nanotechnologies à des fins médicales, par exemple en mettant au point des implants cérébraux pour soigner des maladies dégénératives comme celle de Parkinson.

Clinatec est un centre de recherche spécialisé dans les nanotechnologies et la biologie de synthèse, et entretenant des liens avec le monde industriel.© DR

Ici, comme à Minatec, pas question de parler de transhumanisme, même si ce dernier est présent en filigrane derrière les recherches qui y sont menées. « Clinatec, pour le moment, répare l’humain », explique Agnès Rousseaux, journaliste à Bastamag et auteur d’une enquête sur Clinatec. « Mais certains discours semblent montrer une volonté d’aller plus loin ». Aller plus loin, vers certains procédés se rapprochant de l’amélioration humaine, ou qui permettraient d’agir en profondeur pour changer la personnalité et développer une médecine régénérative pour lutter, par exemple, contre le vieillissement. « Un des buts de la nanomédecine est de ne pas avoir à réparer», expliquait d’ailleurs en 2006 François Berger, le directeur de Clinatec, lors d’une audition par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. «À travers la Nanomédecine, on dressera une nouvelle frontière entre le normal et le pathologique ». Jean Therme et François Berger ne se définissent pas comme transhumanistes. Peut-être même, comme de nombreux autres chercheurs, ne connaissent-ils pas le mot lui-même. Leurs recherches cependant y conduisent et le permettent. L’homme augmenté : « born to code » Pour David Latapie, de l’AFT, cela est une certitude : « Il y a indéniablement continuum entre la médecine et le transhumanisme. C’est en parlant et promouvant la médecine, la “réparation”, que l’on fait progresser, de façon détournée, les technologies nécessaires à l’avènement du transhumanisme et de l’homme augmenté ». Autre lieu, autre ambiance. À 42 « Born to code », l’école d’informatique et de codage inaugurée en 2013 à Paris par Xavier Niel, on est en apparence bien loin de se préoccuper des idées transhumanistes. Ici on s’occupe d’éducation. L’ambition y est de former au mieux les jeunes aux défis numériques de demain, et de stimuler en France une mentalité entrepreneuriale et la « capacité d’innovation et de transformation digitale des entreprises ». Sur l’initiative d’un membre du staff un temps lié à l’AFT, l’école est cependant récemment entrée en contact avec l’Université de la Singularité, une institution californienne fondée par Peter Diamandis et Ray Kurzweil, deux transhumanistes américains notoires. Sur le site internet de l’université est précisé que la mission de l’établissement est « d’éduquer, d’inspirer et de permettre aux dirigeants d’utiliser les technologies convergentes pour répondre aux grands challenges de l’humanité ». Sur invitation d’un responsable de l’école, des personnes de cette université, dont Nathalie Trutmann, ambassadrice de l’Université de la Singularité au Brésil, sont venues à Paris pour visiter 42. Le but était de mettre en place « un échange d’élèves entre les deux établissements », explique ce responsable de l’école 42, qui a souhaité garder l’anonymat. « Il est important que se créent des dynamiques au niveau mondial et que les gens collaborent et échangent leurs idées dans le domaine des technologies convergentes. Surtout en France l’entrepreneuriat et le développement de ces nouvelles technologies ne sont pas encouragés ». L’homme en question se reconnaît plus dans ce qui est réalisé à l’Université de la Singularité, située dans la Silicon Valley sur le campus de la Nasa. « Ce qui l’intéresse, c’est que l’université s’occupe de questions entrepreneuriales. Il y a de gros cerveaux qui ont des idées qui ressemblent aux transhumanistes, mais ils cherchent toujours une application pratique pour ces idées », ajoute en privé l’un de ses proches. Cette volonté de se concentrer sur la recherche et l’entrepreneuriat, en occultant les liens philosophiques avec ce que certains en France appellent le « T Word », par peur de prononcer le mot transhumanisme, est caractéristique de l’évolution interne de la mouvance actuellement dans le monde. En France, malgré sa popularité grandissante dans les médias, le mot est parfois presque tabou dans certains milieux de la recherche, où se l’approprier et l’assumer peut signifier la fin d’une carrière. « Pour cette raison, il y a en France beaucoup plus de transhumanistes que ce que l’on croit », assure David Latapie. De cela résulte la naissance de structures variées occupées à développer les « technologies convergentes », ou concentrées sur l’accélération technologique, mais dont les rapports directs et affichés au transhumanisme sont souvent inexistants. Ces structures y mènent pourtant, et permettent le développement d’une mentalité qui favorise son éclosion et son acceptation. ©Hexagones.fr

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