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Tradition pascale : comme chaque année à Pâques, la procession du Surrexit a animé les rues d’Estavayer-le-Lac, en Suisse.

Martin Bernard

19 février 2020 – Il est presque minuit dans les ruelles médiévales d’Estavayer-le-Lac. Longeant les vieux murs, des silhouettes se dirigent vers la collégiale Saint-Laurent pour prendre part à la plus ancienne tradition pascale de la Cité à la Rose: le ­Surrexit, une procession annonçant la résurrection du Christ par des chants de l’ancienne liturgie catholique, entièrement en latin. L’événement se déroule toujours dans la nuit du ­Samedi-Saint au dimanche de Pâques.

Sur la place au pied de l’église, Christian Gobet, dit «Gobio», a rejoint ses amis musiciens. Avec leurs cuivres, ils donneront le la en tête du cortège. La plupart sont membres de l’harmonie locale La Persévérance. L’artiste staviacois, connu pour ses grenouilles métalliques géantes, participe à la fête depuis près de quarante ans. «Je suis un passionné des traditions. Pour rien au monde je ne manquerais ce rendez-vous», souffle-t-il avec un sourire.

Quelques minutes avant minuit, plus d’une soixantaine d’hommes de la paroisse se sont réunis sur le parvis. Des flambeaux sont allumés. «Cette tradition fête la résurrection du Christ, je vous demande donc d’être sérieux. Les porteurs de torche, faites attention aux partitions», rappelle Georges Chanez, en charge de l’organisation.

Soudain, la cloche égrène ses douze coups. Les hommes se mettent en rang et entonnent le Surrexit Christus Hodie. Alleluia! La procession peut commencer. En tête, Christian Gobet et ses musiciens rythment la marche. «Aujourd’hui, le temps est agréable, alors on ne se presse pas. Mais lorsqu’il pleut, on accélère la cadence», glisse l’artiste.

Tradition masculine

En queue de cortège, une vingtaine de curieux emboîtent le pas aux chanteurs. Certains sont venus de loin pour l’occasion. Les femmes peuvent suivre la troupe mais doivent se tenir à distance. Le Surrexit est en effet une tradition entièrement masculine, que personne ne souhaite modifier. «Dans la Bible, ce sont pourtant des femmes qui découvrent en premier le tombeau vide du Ressuscité», précise une participante bien informée, pas gênée pour autant par la composition uniquement masculine de la troupe. Les seules voix féminines pouvant se joindre à celles des hommes sont celles des sœurs du couvent des Dominicaines, où la procession s’arrête pour chanter le Regina Caeli .

La lumière vacillante des flambeaux sur les vieilles pierres et les chants latins résonnant dans les rues confèrent à l’expérience un caractère profondément médiéval. Mais offrent aussi un fort contraste avec la modernité, surtout lors du passage des chanteurs devant les rares bars de la cité encore ouverts.

Ce qui pourrait être considéré comme du tapage nocturne n’a pas l’air de gêner les habitants. Accoudés à leurs fenêtres, quelques-uns accueillent les chanteurs avec des «Bonnes Pâques!» «Le cortège dure environ une heure, note Gobio. Nous passons devant chaque porte et chapelle de la ville. Avant, nous faisions aussi une halte devant le pensionnat religieux du Sacré-Cœur, mais ce n’est plus le cas depuis le départ des sœurs d’Ingenbohl en 2015.» Le cortège passe aussi immanquablement par le cimetière, pour un recueillement devant la tombe du dernier bourgeois enseveli à Estavayer-le-Lac.

Fin du carême

La dernière étape incontournable avant le retour à la collégiale est la montée des quelque cent marches des escaliers des Egralets, comme un symbole de la montée au ciel. En haut sont distribués les bons pour déguster la traditionnelle choucroute garnie à la maison des œuvres de la paroisse.

Le Surrexit célèbre en effet la résurrection du Christ mais aussi celle des plaisirs de la table après 40 jours de carême. «Autrefois, la ripaille se déroulait avant la procession, avec saucisson, bière et tabac. Mais l’état d’ébriété de certains a poussé les organisateurs à déplacer la chose à la fin du cortège», explique Christian Gobet.

Pour les participants, c’est l’occasion de faire durer cette tradition séculaire jusqu’aux premières lueurs du dimanche de Pâques.

Une tradition pascale ancienne et vivace

Le Surrexit est la plus vieille coutume staviacoise liée à la Semaine sainte. Son origine se perd dans les méandres de l’histoire locale. Selon le site officiel de l’Etat de Fribourg, la «première mention connue» du Surrexit date de 1637. Elle provient du Grand Livre historique de la paroisse d’Estavayer-le-Lac et concerne une rétribution des écoliers qui chantaient dans la ville après minuit la veille de Pâques. Mais elle pourrait même remonter au début du XIVe siècle. «Une chose est sûre, c’est très ancien», souffle Georges Chanez, en charge de son organisation.

Tout se fait de manière très informelle, sans répétition ni organisation particulière. Les chanteurs reçoivent les partitions et entonnent en alternance le Surrexit Christus Hodie (le Christ est ressuscité aujourd’hui) et l’ O filii et filiae , deux chants liturgiques anciens. Ils sont ponctués par le Regina caeli , entonné avec les sœurs dominicaines, et le De Profundis, chanté au cimetière.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le Surrexit n’est pas chapeauté par la paroisse, ni animé par le prêtre, même si ce dernier prend souvent part au cortège. Des dons permettent aux participants de déguster une choucroute garnie à la fin du cortège. Le premier legs date de 1898. Il a été effectué par une femme, Constance Demierre. Depuis, la coutume est respectée religieusement chaque année. Beaucoup y participent de père en fils et font ainsi perdurer une tradition encore bien vivace de nos jours.

> Article publié originellement dans La Liberté du 23 avril 2019.

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