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Les documents du cabinet d’avocats Mossack Fonseca révèlent que des adresses fribourgeoises sont mêlées à la création de centaines de sociétés offshore. Un ex-président du HC Gottéron est concerné.

Martin Bernard et Jean-Christophe Emmenegger

9 juin 2016 – L’affaire des Panama Papers n’épargne pas le canton de Fribourg. C’est ce que révèle la base de données rendue publique début mai par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à l’origine des révélations. Ce moteur de recherche utilise une partie des 11,5millions de documents internes du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca (Mossfon) couvrant une période s’étalant entre 1977 et 2015. On y découvre qu’une vingtaine d’adresses du canton sont mêlées à la fabrication ou la détention de sociétés offshore.

Près de deux cents cas

L’une de ces adresses est celle de la fiduciaire fribourgeoise Multifiduciaire. Fondée en 1974 par Daniel Baudin et Olivier Fleury, elle est mentionnée pas moins de 176 fois dans les métadonnées des Panama Papers, en lien avec des sociétés offshore incorporées aux juridictions de paradis fiscaux comme Panama, les îles Vierges britanniques, et les Seychelles. Daniel Baudin et Olivier Fleury administrent également depuis 2001 une autre société, Multifiduciaire Conseils, qui se retrouve, elle aussi, mentionnée en tant que coactionnaire de dizaines de sociétés offshore aux côtés de clients cachés.

En outre, d’après le registre public du monde de la finance «opencorporates.com», les deux hommes apparaissent chacun des dizaines de fois en tant que directeur ou président d’entités offshore, majoritairement panaméennes, aux côtés d’agents du cabinet Mossack Fonseca. Sur Opencorporates, les plus anciennes sociétés datent de 1986.

Créer une société offshore

La création de sociétés offshore suit souvent un même schéma. «Un client qui veut créer une société au Panama, par exemple, s’adresse à un cabinet d’avocats ou à une fiduciaire. Ce spécialiste a pour mission de créer la société pour son client, et d’ouvrir et d’administrer ses comptes bancaires suisses en tant que directeur ou président de celle-ci, à titre fiduciaire», explique Walter Stoffel, professeur de droit économique à l’Université de Fribourg (Unifr).

Ces structures, utilisées notamment pour gérer des fonds successoraux, ne sont pas illégales. Mais pour l’ancien procureur du Tessin Paolo Bernasconi, «il est évident qu’elles servent la plupart du temps à brouiller les pistes, à masquer l’identité du propriétaire effectif, rendant difficile le traçage des documents par un procureur, et impossible leur découverte par les réviseurs et les autorités fiscales». En Suisse, cependant, la loi impose depuis 2014 que les bénéficiaires finaux soient identifiés, avec copie de passeport, rendant la fraude et l’évasion fiscale plus difficiles.

Dans le cas de Multifiduciaire, les sociétés de domiciliation offshore étaient d’abord achetées à la succursale de Mossack Fonseca à Genève, avant d’être facturées aux clients.

Activité assumée

Daniel Baudin n’est pas un inconnu à Fribourg:il a présidé Fribourg-Gottéron de 2006 à 2010. Contacté, il a accepté de recevoir «La Liberté» dans les locaux de sa fiduciaire pour s’expliquer. «J’assume entièrement la création de ces sociétés», reconnaît-il d’emblée. «J’ai agi à la demande de relations, ou de correspondants que j’ai dans différents pays, qui m’ont demandé de les constituer pour eux-mêmes ou leurs clients. Mais il y a lieu de distinguer Multifiduciaire Conseils, dont je suis administrateur avec Olivier Fleury, de l’entité Multifiduciaire Fribourg, qui n’est aucunement concernée par ces mandats. Je ne veux pas que d’autres portent la responsabilité de ces activités, qui sont d’ailleurs toutes conformes à la loi», assure Daniel Baudin.

Selon les Panama Papers, cependant, les plus récentes sociétés offshore rattachées à Multifiduciaire Fribourg datent de 2013, onze ans après la création de Multifiduciaire Conseils. Une société offshore, indiquée comme étant toujours active, aurait par exemple été incorporée aux Seychelles par l’intermédiaire de Multifiduciaire Fribourg, le 9octobre 2006. Elle cacherait deux clients supposés, dont l’un est Multifiduciaire Conseils SA et l’autre un client non identifié domicilié au nord-est de laTunisie dans une cité de vacances huppée de la région de Nabeul, à Hammamet, surnommée le Saint-Tropez tunisien.

Daniel Baudin dit ne plus se souvenir de ce cas, et nie l’implication de Multifiduciaire Fribourg dans sa création. «La confusion vient du fait que nous n’avons pas changé les adresses e-mail, justifie-t-il. Ma collaboratrice utilise mon ancien e-mail qui mentionne Multifiduciaire Fribourg et Mossack Fonseca a gardé ces coordonnées.»

Sociétés toujours actives

Les métadonnées des Panama Papers indiquent aussi qu’en 2015, 43 des 176 entités reliées à Multifiduciaire Fribourg étaient toujours actives, ou avaient été relocalisées dans une autre juridiction. Des informations dont Daniel Baudin conteste la validité actuelle. «Au début juin 2016, il ne reste que quatre sociétés, deux au Panama et deux aux îles Vierges britanniques. Beaucoup ont été clôturées à partir de 2014, quand la législation suisse concernant la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) et la fiscalité a été modifiée, ajoute Daniel Baudin. Ça ne m’a pas posé problème, car je voulais arrêter cette activité de toute façon.»

Un commerce lucratif

Le fondateur de Multifiduciaire affirme également ne pas avoir «gagné sa vie» avec la création de sociétés offshore. Selon d’autres sources, cependant, celles-ci peuvent rapporter gros. «C’est un business très lucratif pour les fiduciaires et les cabinets d’avocats.La création de sociétés offshore a fait vivre une partie d’entre eux pendant des années», souligne un avocat qui préfère témoigner anonymement. «La constitution d’une société offshore peut valoir de 1000 à 10000francs. Pour les trusts et les fondations de famille, certaines banques et fiduciaires appliquent leurs honoraires en pourcentage du patrimoine alloué au trust ou à la fondation. Annuellement, cela peut rapporter plusieurs dizaines de milliers de dollars», confirme Paolo Bernasconi.

Pour Paul Dembinski, professeur de stratégie internationale des entreprises à l’Université de Fribourg, «il n’y a sans doute pas qu’un seul institut financier impliqué à Fribourg. Des multinationales de la place utilisent ce type de services, comme des personnes privées. On voit qu’il y a une véritable industrie de la vente de sociétés offshore, un business qui rapporte un peu à tout le monde, tant qu’il est légalement possible. En Suisse, cette situation découle d’une cécité voulue pendant des dizaines d’années.»

Les autres cas à Fribourg

Une vingtaine d’adresses localisées dans le canton de Fribourg sont mentionnées dans les métadonnées des Panama Papers. La plupart se trouvent en ville de Fribourg. Certaines sont mentionnées plusieurs fois, comme celle rue P.-A.-de-Faucigny (douze fois), où se trouve le siège de Multifiduciaire Fribourg SA. D’autres adresses apparaissent aussi à Bulle, Morat, Arconciel, Guin, Villars-sur-Glâne, Givisiez, Romont, Lugnorre ou Gletterens. La plupart sont liées à des montages complexes mais légaux, incluant des individus ou des sociétés incorporés dans des paradis fiscaux.

A Givisiez, rue des Grives 1, sont enregistrées deux filiales de la multinationale française Clipso, spécialisée dans la vente de matériel de construction et de faux plafonds. A cette adresse réside aussi le fondateur de celle-ci, Bernard Geis. Les Panama Papers indiquent qu’il possède une société offshore montée par le cabinet d’avocats canadien Helene Mathieu Legal Consultants, basé à Dubaï. En outre, de grandes fiduciaires ou cabinets d’avocats, tels que Genint ou Borel&Barbey, tous deux basés à Genève, apparaissent en lien à des montages offshore répertoriés dans le canton de Fribourg.

En Suisse romande, cependant, notons que Fribourg est un des cantons les moins concernés par les Panama Papers. Ceux où la concentration est la plus importante sont, sans surprise, Vaud et Genève.

LE PARCOURS DE L’OFFSHORE DANS LE CONTEXTE FRIBOURGEOIS

1. PHASE INITIALE

Une personne morale ou physique, résidant dans ce cas en Tunisie, souhaite bénéficier des avantages d’une société offshore, par exemple pour régler des questions de succession ou diminuer ses impôts. Elle s’adresse à un cabinet d’avocats, une société fiduciaire ou une banque du canton de Fribourg pour effectuer les démarches légales.

2. CRÉATION

La fiduciaire, le cabinet d’avocats ou la banque concernés (ou une de leurs filiales) contacte ensuite, par exemple, le cabinet panaméen Mossack Fonseca, souvent par l’intermédiaire de sa succursale à Genève. Celui-ci leur vend clés en main la société offshore, et utilise parfois ses employés comme prête-noms. L’opération est une formalité administrative réglée souvent en une heure.

3. DOMICILIATION

La société offshore est domiciliée dans un paradis fiscal, ici les Seychelles, ayant des impôts inexistants ou insignifiants, une grande opacité fiscale, et ne pratiquant pas l’échange d’information avec d’autres Etats.

4. ACTIONNARIAT

Dans la plupart des cas, la fiduciaire fribourgeoise ou le cabinet d’avocats nomme un directeur et un actionnaire officiels de la société offshore. Ils ouvrent et administrent un compte bancaire en Suisse pour le client, à titre fiduciaire. Un contrat de procuration permet au bénéficiaire final de pouvoir utiliser la société et accéder à son compte en Suisse directement, en tant que «vrai» propriétaire, sans jamais apparaître nommément.

> Publié dans La Liberté du 9 juin 2016.

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