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La nouvelle liste des projets énergétiques prioritaires de l’Union européenne (UE) est favorable aux énergies fossiles. Pour Bruxelles, investir dans l’augmentation des capacités d’importation de gaz naturel est incompatible avec ses objectifs écologiques. Mais c’est en phase avec des impératifs géopolitiques liés à la Russie.

Martin Bernard

9 février 2021 – Le 12 février 2020, les eurodéputés ont rejeté une motion des Verts, qui préconisait le rejet de la quatrième liste de projets d’intérêt commun (PIC) de l’UE. Cette liste a officiellement pour but d’« assurer la mise en place d’un réseau énergétique européen connecté, adapté aux évolutions à venir, fournissant aux Européens une énergie propre, financièrement accessible et sûre ». C’est son aspect « propre » qui était contesté par les eurodéputés Verts.

Sur les 151 projets d’infrastructure énergétique que contient la liste PIC, 70 % sont liés à l’électricité et aux réseaux intelligents. Il serait bien sûr possible de discuter de l’aspect écologique de certaines des technologies dites « intelligentes » et « renouvelables », qui sont en fait loin de l’être en raison de leur grande consommation de métaux rares, extrêmement polluants, en amont de la chaîne de production. Mais ce qui a surtout chiffonné les Verts européens dans cette liste PIC, ce sont les 32 projets d’infrastructure gazière qui, selon eux, entrent en contradiction avec l’ambition affichée par l’Europe de devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050.

Augmentation des capacités d’importation

Concrètement, comme l’a calculé le cabinet de conseil Carbone 4, 27 gazoducs et 5 terminaux méthaniers sont susceptibles de recevoir des subventions européennes ou des prêts de la Banque Européenne d’Investissement. Et parmi ces 27 gazoducs, 4 serviraient à importer du gaz naturel depuis l’extérieur de l’UE. C’est par exemple le cas du projet EastMed, qui vise à acheminer du gaz depuis les gisements offshore de la Méditerranée orientale vers la Grèce, l’Italie et l’Europe centrale. Mais aussi du gazoduc Trans-Caspian, qui doit relier le Turkménistan et l’Azerbaïdjan à l’UE en passant par la Géorgie et la Turquie.

« L’ensemble des projets d’infrastructure destinés à importer du gaz naturel dans l’UE se chiffre à 64 Mds €, dont 52 Mds € de gazoducs et 12 Mds € de terminaux méthaniers », indique Carbone 4. « Ces investissements représentent bien des nouvelles installations et non pas des renouvellements d’infrastructures existantes. Selon l’étude Gas at crossroads du réseau Global Energy Monitor, ils représentent une augmentation des capacités d’importation annuelles de 138 milliards de m3 de gaz pour les gazoducs et de 95 milliards de m3 de gaz pour les terminaux méthaniers, soit une augmentation de 30% par rapport aux installations existantes. »

Émission de méthane

Cet accroissement de la capacité d’importation de gaz naturel en Europe fait réfléchir pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la consommation de cette énergie fossile devra effectivement diminuer si la Commission européenne veut respecter les objectifs écologiques qu’elle s’est fixés (voir notamment le rapport A Clean Planet for All, paru fin 2018). En effet, on sait désormais que le gaz naturel émet du méthane lors de son extraction et de son transport.

Or, pour le climat, le méthane est 28 fois plus virulent que le CO2. « Les fuites lors des forages, de l’extraction, des transports par gazoduc représentent 33% de l’augmentation mondiale de méthane. Sur les 17,8 millions de tonnes de méthane relâchées annuellement par les énergies fossiles, le gaz naturel (5,5 tonnes) et le gaz de schiste (9,4) en représentent 85% alors que le pétrole (1,6) et le charbon (1,3) arrivent loin derrière, selon une récente étude du Dr Robert W. Howarth. Dès 2016, l’Union européenne abondait dans cette direction. La Commission avait publié une étude sur le remplacement des résidus de pétrole utilisés par la marine marchande par du gaz. Les résultats ont montré qu’il est climatiquement préférable d’utiliser la pire qualité de pétrole que du gaz », a écrit Laurent Horvath, géo-économiste de l’énergie, dans le quotidien suisse de référence Le Temps.

Gazoducs déjà sous-utilisés

En outre, comme l’indique le cabinet de conseil Carbone 4, les capacités d’importation de gaz naturel de l’UE sont déjà largement excédentaires avec un taux d’utilisation des gazoducs de 57% en moyenne sur 2019 et de 51% en moyenne pour les terminaux méthaniers. Et ces surcapacités ne sont pas expliquées par la variation de consommation dans l’année : en 2019, le taux d’utilisation des terminaux méthaniers a atteint un pic à environ 65% au mois de décembre, la moyenne annuelle étant de 51%.

« Strictement parlant, ajoute Carbone 4, l’investissement dans des capacités supplémentaires d’importation de gaz naturel ne suffit pas à remettre en question l’atteinte des objectifs de réduction d’émissions. En effet, il est possible de construire de nouveaux gazoducs afin de diversifier les approvisionnements, sans que ces nouveaux réseaux ne soient voués à être utilisés à pleine capacité ; auquel cas ils auraient une valeur principalement assurantielle. Dans le même temps, le flux de gaz entrant dans l’UE pourrait être constant voire décroissant. Le fait est que ces nouvelles capacités ouvrent tout de même la porte à des importations plus importantes qu’elles ne le sont aujourd’hui. Le fait de rendre possibles ces importations représente en soi un danger pour l’atteinte de nos objectifs, car l’usage qui sera fait de ces infrastructures n’est pas prévisible sur leur durée de vie (supérieure à 50 ans). »

La géopolitique s’en mêle

Incohérent d’un point de vue énergétique et financier, le soutien à ces nouvelles installations gazières répond surtout à des impératifs géopolitiques. C’est ce qu’a laissé entendre notamment l’eurodéputé Lars Ole Løcke, l’un des porte-parole du Parti populaire européen (PPE), qui a lui-même soutenu la liste de projets d’intérêt commun (PIC) en février. « La sécurité de notre approvisionnement énergétique est vitale. En soutenant les 151 projets énergétiques de la liste PIC, nous aidons notamment les pays baltes à s’affranchir du réseau électrique russe », a-t-il fait valoir sur Twitter avant le vote du 12 février 2020.

Dans les faits, cependant, cette crainte sécuritaire est plus idéologique que réelle. Économiquement, la Russie est encore plus dépendante de ses exportations d’hydrocarbures en direction de l’Europe que ne l’est l’Europe envers les importations de gaz russe. D’ailleurs, tout l’enjeu est là : il s’agit de faire pression sur l’économie russe en la privant au maximum de ses débouchés gaziers européens.

C’est à ce niveau d’analyse qu’entrent en ligne de compte les questions géopolitiques. En effet, comme nous l’avons déjà expliqué dans un article consacré au gazoduc Nord Stream 2, les relations entre l’Europe centrale et la Russie sont considérées depuis longtemps comme névralgiques et potentiellement dangereuses pour les idéologues de l’Atlantisme, dont la pensée imprègne les grandes institutions de l’UE.

Dans ce contexte, et afin de mettre en perspective un projet tel que le Trans-Caspian Gas Pipeline, rappelons également ces mots de Zbigniew Brzezinski, ancien conseillé à la Maison Blanche du président Jimmy Carter (1977-1981), exprimés dans son livre Le Grand échiquier (1997) : « L’Azerbaïdjan (…) recouvre une zone névralgique, car elle contrôle l’accès aux richesses du bassin de la Caspienne et de l’Asie centrale. (…) Un Azerbaïdjan indépendant, relié aux marchés occidentaux par des pipelines qui évitent les territoires sous influence russe, permet la jonction entre les économies développées et les gisements convoités des républiques d’Asie centrale. Le sort de l’Azerbaïdjan, à l’égal de celui de l’Ukraine, dictera ce que sera ou ne sera pas la Russie à l’avenir ».

 

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