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Drones, véhicules autonomes, Big Data, le monde agricole vit lui aussi sa révolution numérique. Des PME romandes sont bien placées sur ce marché. Mais au-delà des discours de l’industrie, l’agriculture connectée est-elle vraiment une solution d’avenir pour les paysans suisses ?

Martin Bernard

2 juin 2017 – L’air est doux en ce début de printemps, et la campagne se réveille de sa torpeur hivernale. Dans la cabine de son tracteur vert et jaune aux roues gigantesques, Cédric Romon, entrepreneur en travaux agricole dans la région lausannoise, est à la manœuvre. Sur le toit de sa machine, un capteur GPS RTK fonctionne en temps réel grâce au réseau de téléphonie mobile (GSM). A l’intérieur sont installés deux écrans de contrôle tactiles, véritables ordinateurs embarqués pour agriculteur high-tech. « Le premier sert au guidage du tracteur, et le second à la gestion du semoir à graines ou à engrais », explique Cédric Romon en pianotant sur l’un d’eux.

Le GPS, allié à un système d’automatisation des processus, permet ensuite au tracteur d’effectuer le travail de façon semi-autonome. « C’est plus simple qu’il n’y paraît. Il suffit d’entrer des coordonnées de géolocalisation et d’être attentif à d’éventuels obstacles dans le champ », assure l’entrepreneur. « Cela me permet de travailler au centimètre près, de jour comme de nuit, sans élargir le sillon ou le tassage du sol. C’est un vrai confort qui me permet d’économiser du temps et de l’argent en réduisant les doses d’intrants utilisées ».

Des capteurs enregistrent aussi toutes les données de chaque opération. Celles-ci sont ensuite hébergées dans un cloud géré par John Deere, géant américain spécialisé dans la vente de machines agricoles. Il permet à l’entrepreneur de visualiser les données issues des parcelles travaillées.

Numérisation des champs

Cédric Romon est, depuis 1997, l’un des pionniers romands de l’agriculture de précision – ou smart farming en anglais -, alliant tracteurs autonomes, robots, drones, biotechnologies et Big Data pour chambouler le quotidien des paysans. « Ces systèmes interconnectés, intelligents et au fonctionnement en partie autonome vont de la surveillance des apports en fertilisants pour une culture à une lutte automatisée ultra-précise contre les adventices ou les ravageurs, en passant par les robots d’alimentation pour les vaches laitières », explique Francis Egger, membre de la direction de l’Union suisse des paysans (USP), la puissante faîtière des agriculteurs helvétiques.

Ces technologies échangent et génèrent en permanence d’énormes quantités de données diverses, qui peuvent ensuite être regroupées et analysées pour ajuster la production et mieux répondre aux normes alimentaires en vigueur. Dans cette perspective, les chantres de l’agriculture 4.0 n’hésitent pas à parler de « nouvelle révolution agricole ». Pour eux, les technologies de l’information et de la communication (TIC) et l’internet des objets auraient le potentiel de permettre au paysan des prises de décision plus intelligentes, de réduire l’utilisation des pesticides ou de documenter des processus entiers de façon exhaustive et transparente.

Autant de solutions à même de résoudre les nombreuses difficultés auxquelles font face les agriculteurs (prix trop bas, endettement, concurrence mondialisée), et de nourrir une population mondiale en augmentation croissante. Dans le monde, l’agriculture connectée est en plein boom depuis trois ans. Selon le dernier rapport de la plateforme AgFunder, le secteur a drainé 3,2 milliards d’investissements en 2016, contre 900 millions en 2013. Aujourd’hui, près de la moitié des start-up les plus actives dans le domaine sont américaines –  ce qui n’est pas étonnant si l’on sait que cette agriculture est née Outre-Atlantique. Et de grandes firmes comme Google, DuPont ou Monsanto y investissent massivement. (…)

Quelle agriculture en 2050 ?

(…) Au final, la question est surtout de déterminer quelle agriculture nous désirons voir se développer à l’avenir. Comme le résume le journaliste Vincent Tardieu dans son livre Agriculture connectée, arnaque ou remède ?, sorti en 2017: « Au bout du compte, ces nouvelles technologies de l’information permettent surtout de ne rien changer au cœur du système agricole actuel : sa logique de rendement, son artificialisation relative et son assimilation aux règles et au fonctionnements de toutes les structures de production industrielles. On peut parfaitement utiliser tous ces capteurs sans jamais passer à une agriculture sans chimie ».

Une critique de poids, d’autant que les défenseurs du numérique s’appuient souvent sur l’argument environnemental pour en faire la promotion. Beaucoup oublient cependant souvent l’impact écologique négatif des TIC, lié à l’extraction des matériaux rares servant à les fabriquer, et à leur consommation électrique.

Implicitement, Vincent Tardieu pointe également du doigt l’autre argument principal des chantres de l’agriculture connectée. D’ici 2050, selon l’Organisation des Nations Unies, il faudrait en effet accroître d’au moins 60% la production mondiale d’aliments pour pouvoir nourrir toute la planète, et ce avec de grandes contraintes écologiques et toujours moins de ressources (eau, terres, engrais, main d’œuvre, etc.) à disposition. Pour y parvenir, la solution serait d’améliorer l’efficience de la production des exploitations industrielles grâce aux nouvelles technologies.

Or, comme le souligne l’ONG Grain dans un rapport paru en 2014, au niveau mondial, ce ne sont pas ces exploitations gigantesques qui nourrissent le monde, mais les petites fermes traditionnelles, qui sont largement majoritaires et aussi plus productives à l’hectare : « Les agences de développement internationales nous mettent sans cesse en garde sur le fait qu’il nous faudra doubler notre production alimentaire dans les prochaines décennies. Pour y parvenir, elles préconisent habituellement une combinaison de libéralisation des investissements et du commerce, et de nouvelles technologies. Mais ce mélange ne fera que créer davantage d’inégalités. La vraie solution consiste à rendre le contrôle et les ressources aux petits producteurs eux-mêmes et à adopter des politiques agricoles adaptées pour les soutenir ».

> Lire l’article complet en PDF, paru dans le numéro de juin du mensuel PME Magazine : Le boom de l’agriculture 4.0

 

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