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La Russie, dont la Suisse défend les intérêts diplomatiques en Géorgie, est le seul pays du Conseil de sécurité de l’ONU avec lequel Berne entretient des échanges diplomatiques formalisés. Pour ménager ses relations bilatérales avec l’Union européenne, cependant, la Suisse n’exploite pas tout le potentiel économique de sa bonne entente avec le Kremlin.

Martin Bernard

7 janvier 2018 – La diplomatie est un jeu fait de patience et d’opportunisme. Alors que le niveau de tensions entre l’Occident et la Russie n’a jamais été aussi élevé depuis la fin de l’Union soviétique, la Suisse joue à l’équilibriste pour maintenir ses bonnes relations avec Moscou, tout en satisfaisant ses voisins continentaux. Pour rappel, l’Union européenne (UE) a confirmé, en juin dernier, la prolongation des sanctions contre la Russie. Celles-ci ont été décrétées en 2014 par l’UE et les États-Unis après le début du conflit en Ukraine. La Confédération ne s’y est pas associée, mais elle a pris des mesures pour éviter que son territoire ne soit utilisé pour les contourner.

Aujourd’hui, la Russie reste l’un des partenaires prioritaires dans le cadre de la politique extérieure suisse. En 2007, Berne a signé avec Moscou un mémorandum instaurant un cadre de coopération intensifiée au niveau des affaires étrangères. «C’est le seul pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU avec lequel nos relations diplomatiques sont formalisées de la sorte», indique Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Ce rapprochement, entrepris dès la fin des années nonante, a porté de nombreux fruits. En 2008, lors de l’éclatement du conflit entre la Géorgie et la Russie, le gouvernement russe a demandé à Berne de représenter ses intérêts diplomatiques et consulaires en Géorgie. Peu de temps après, le gouvernement géorgien a fait de même pour défendre ses intérêts à Moscou. Ces bons offices ont permis d’augmenter encore l’intensité des échanges entre la Suisse et les deux pays.

Au niveau diplomatique, l’ambassade suisse transmet en moyenne une note par jour entre les deux parties, indique le DFAE. De l’avis de la plupart des spécialistes, son rôle a été important pour calmer le jeu sur le terrain. «Nous pouvons en tout cas dire que nous avons contribué à ce que les tensions entre les deux pays ne s’aggravent pas», note Walter Gyger, ambassadeur suisse à Moscou entre 2009 et 2011. Durant cette période, la Confédération a aussi œuvré en coulisses pour faciliter l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), effective depuis août 2012. «Nous avons vraiment joué un rôle clé pour éviter que la Géorgie utilise son droit de veto pour empêcher l’entrée de la Russie dans l’OMC», confirme l’ex-ambassadeur.

Union eurasiatique

Pour la Confédération, ce mandat procure aussi certains avantages sur le plan commercial. «Nous avons pu résoudre certains blocages liés à des questions de licence ou de permis de construction, et réduire des problèmes douaniers», souligne Walter Gyger. Aujourd’hui, le potentiel de l’économie russe, encore convalescente suite à la chute des prix du pétrole et aux fluctuations des taux de change, est important pour les entreprises suisses. Le marché russe est également intéressant en raison du fait qu’il garantit un accès facilité à d’autres marchés grâce à l’Union économique eurasiatique avec la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et l’Arménie.

En 2016, les exportations helvétiques en Russie s’élevaient à 1,9 milliard de dollars. Il s’agit principalement de produits pharmaceutiques et de machines. Dans le même temps, la Confédération a importé pour plus de 3 milliards de biens russes, essentiellement des métaux précieux. «Le niveau des échanges commerciaux entre les deux pays se situe cependant en dessous de son plein potentiel», remarque Eric Hoesli, professeur à l’EPFL et spécialiste de la Russie.

À l’heure actuelle, en effet, Berne ne profite pas vraiment des contre-sanctions décrétées par Moscou à l’encontre de ses voisins européens pour acquérir de nouveaux marchés en Russie, par exemple dans l’industrie du fromage. «Au niveau politique, la position de la Suisse est délicate. Malgré des désaccords de principe, elle ne défend pas une ligne dure envers Moscou. Seulement, elle ne veut pas se fâcher avec Bruxelles pour des avantages en Russie alors que son premier problème de politique intérieure et extérieure aujourd’hui sont les relations bilatérales avec l’UE, analyse Eric Hoesli. La Confédération s’autolimite pour faire plaisir aux responsables européens, ajoute le spécialiste. Dans le contexte actuel, par conséquent, lorsqu’il s’agit de se positionner sur un sujet sensible pour l’UE, la neutralité suisse est de facto inapplicable. Le climat des relations entre Berne et Moscou est fortement marqué par cette situation

Comment est perçue la situation du côté russe? «Le Kremlin voit parfaitement les limites qui existent en ce qui concerne la Suisse, complète Eric Hoesli. Mais la Confédération, formellement en dehors de l’OTAN et de l’UE, reste donc un partenaire intéressant pour la Russie.» En juillet dernier, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann était en visite à Moscou pour aborder la situation économique entre les deux pays et préparer le terrain à de nouvelles coopérations. En attendant que les  tensions entre l’UE et Moscou s’apaisent.

> Publié sur lacite.info le 24 octobre 2017

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