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Geoffroy Saint-Grégoire – Professeur de géopolitique à l’Institut Catholique de Paris et à l’INSEEC, Geoffroy Saint-Grégoire est un spécialiste des questions stratégiques et de défense de l’Union Européenne et de la Russie. Il s’est exprimé sur la signature, le 16 décembre dernier, d’un accord commercial entre la Russie et l’Ukraine, et sur les enjeux géopolitiques et économiques des tensions récentes entre Washington, Bruxelles, Kiev et Moscou.

Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch ont signé le 16 décembre à Moscou un accord prévoyant la levée des limitations commerciales existant entre leur deux pays. Depuis, dans les rues de Kiev, les opposants pro-européens n’ont cessé de dénoncer la « vente » de leur pays à la Russie de Poutine. Un discours que soutiennent les responsables occidentaux de Bruxelles et de Washington. Derrière les déclarations officielles, un relent de guerre froide et de véritables enjeux géopolitiques sont discernables.

Au regard des événements récents en Ukraine, quelles sont selon vous les véritables implications de l’accord commercial signé le 16 décembre entre l’Ukraine et la Russie ?

GS-G : Derrière cet accord pointe une volonté, de la part de Moscou, de vouloir fédérer toutes les ex-républiques soviétiques, de recréer une union douanière dans un cadre de libre-échange par rapport à l’Europe. A côté de cela, dans le projet politique russe, il y a aussi la notion d’Eurasie, la notion de « nous contre l’ouest », qui fait dire à Moscou que la Russie ne souhaite pas avoir des agents européens, des facteurs européens, au sein de cette Eurasie.

Qu’en est-il de l’Ukraine ? Pourquoi s’est-elle récemment tournée vers la Russie plutôt que vers l’Europe?

L’Ukraine a une population de 45 millions d’habitants, qui sont pour les deux tiers slaves russophiles, certains avec un double passeport, et donc naturellement liés à la Russie. Les flux commerciaux entre Kiev et Moscou ont eux atteint 18 milliards de dollars début 2013. Il y a donc une réelle dépendance en termes économique. Tout ceci explique le ralliement, logique selon moi, du président ukrainien Viktor Ianoukovitch avec Moscou. Et cela malgré les velléités européennes et occidentales. Il n’y aura pas de nouvelle révolution orange.

Justement, si on se place du côté européens, quelles sont les intérêts à vouloir signer des accords bilatéraux avec l’Ukraine ?

L’édification de cette formation eurasienne va très vite: l’Ukraine a aujourd’hui intégré l’Union douanière avec la Russie. L’Europe de l’Ouest s’oppose à cela, et s’est toujours considérée comme une fille de l’OTAN. Politiquement parlant, elle se fait l’avocate de la position pro-occidentale et atlantiste, qui rappelle celle de la Guerre Froide. D’ailleurs le fait qu’hier la Russie ait positionné des missiles à Kaliningrad est révélateur… on est en plein chamboulement de positionnement de pions sur l’échiquier géopolitique.

 Et l’Ukraine est l’un de ces pions ?

Oui l’Ukraine, c’est un pion. Economiquement parlant, à part le charbon et l’agriculture, c’est un pays qui n’a pas beaucoup d’intérêts stratégiques.

Et les Etats-Unis dans tout cela ? Le 14 décembre, John McCain, l’ex candidat conservateur à la Maison Blanche, est allé à Kiev pour encourager les manifestants à continuer leur lutte…

C’est une forme de relent néo-conservateur.

Uniquement ? N’y a-t-il pas aussi, comme du côté européen, des intérêts géopolitiques et stratégiques à cette action ?

Depuis la chute de l’URSS et la fin de la Guerre Froide, il est resté du côté Américain la peur, la crainte et le mépris de la Russie. Du temps de l’URSS, c’est ce qui a poussé Washington à positionner se pions en Europe de l’est et dans le Caucase, à tisser des alliances et à implanter des bases militaires… afin de pouvoir créer des sortes d’Etats tampons pour contenir et juguler l’expansion russe.

Et l’Ukraine, actuellement, peut donc être vue comme un Etat tampon pour le bloc occidental contre la Russie…

Exactement. Dans cette optique, un Etat allié stratégique de longue date de Moscou, devrait être sécurisé. Comme la Roumanie et la Bulgarie l’ont été, par exemple, lors de leur adhésion à l’Otan puis à l’Union Européenne. Sans nul doute, le projet occidental récent de signature d’un accord de coopération avec l’Ukraine aurait eu pour but à termes l’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne.

Ce que vous dites ressemble fort à l’édification d’une nouvelle bipolarité entre l’occident et l’orient…

C’est exactement ça. Les russes et les chinois ont signé en 2001 les accords créant l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS), qui est en fait le pendant oriental de l’OTAN. La Russie et la Chine réalisent donc par ce biais des unions douanières qui ont des impacts économiques, certes, mais aussi politiques. Ils déploient aussi leur force militaire dans leurs pays satellites, comme l’Ukraine. Odessa, par exemple, sera russe jusqu’en 2077, et la base navale de Sébastopol jusqu’en 2040. L’Ukraine est par conséquent un Etat stratégique pour la politique étrangère de la Russie, pour l’acheminement de son gaz en Europe, et Poutine n’est pas prêt de laisser glisser le pays hors de sa sphère d’influence.

4 avril 1949 : Création de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) 14 juin 2001 : création de l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS), regroupant laRussie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.

2004 : Révolution Orange en Ukraine, soutenue et financée par Washington, qui marque un rapprochement entre l’Ukraine et l’UE.

21 novembre 2013 : l’Ukraine suspend les négociations en vue de la signature d’un accord de coopération avec l’Union Européenne.

28 novembre 2013 : Sommet de Vilnius

16 décembre 2013 : Signature d’un accord Commercial entre Kiev et Moscou, comprenant notamment la réduction du prix du gaz russe.

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