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Le canal de communication assuré par Berne demeure à ce jour le seul moyen de maintenir un échange officiel entre Téhéran et Washington, au moment où les deux puissances traversent une nouvelle phase de tension. Discrétion oblige, il est difficile de savoir de quelles manières cette courroie de transmission est utilisée actuellement dans le cadre des relations avec l’administration Trump. Par le passé, certains messages importants ont transité par ce biais.

Martin Bernard

22 novembre 2017 – L’Iran a toujours été l’un des pivots géopolitiques majeurs du Moyen-Orient. Le pays est depuis près de quarante ans dans le collimateur des États-Unis et de ses alliés dans la région. Après avoir connu un bref répit suite à la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015, les tensions historiques entre Washington et Téhéran connaissent aujourd’hui un regain de vigueur.

Le président des États-Unis décidera prochainement — entre le 12 et le 15 octobre, selon les sources — si l’Iran respecte ou non, selon lui, les termes de cet accord. Une réactivation de sanctions économiques à l’encontre de Téhéran pourrait alors être à l’ordre du jour.

La Confédération représente depuis 1980 les intérêts diplomatiques américains en Iran. Elle est un observateur privilégié des luttes d’influence entre ces deux puissances. Pour rappel, ce mandat de «puissance protectrice» a été conclu suite à la rupture des liens diplomatiques entre Washington et Téhéran au moment de la prise d’otage de l’ambassade américaine en Iran, fin 1979. Il a été reconnu par les deux parties au conflit.

L’ambassade suisse à Téhéran joue ainsi le rôle de consulat américain. Les diplomates suisses entretiennent également une sorte de pont diplomatique entre le Département d’État américain et le ministère des affaires étrangères iraniens. «Il ne s’agit pas de médiation», précise Tim Guldimann, conseiller national zurichois et ancien ambassadeur en Iran entre 1999 et 2004. «Nous sommes juste à disposition pour transmettre des messages dans les deux directions», poursuit-il. «Lorsque j’étais en poste, il est vrai que j’ai interprété la fonction de manière extensive. Je pensais en effet qu’il était utile que le Département d’État américain soit au courant de ce que je pouvais savoir. Mais ça restait un canal de transmission.»

Discrétion oblige, il est difficile de savoir de quelles manières cette courroie de transmission est utilisée actuellement dans le cadre des tensions avec l’administration Trump. Par le passé, certains messages importants ont transité par ce biais. En 2003, par exemple, peu après l’invasion américaine de l’Irak, c’est par l’intermédiaire de la Suisse que l’Iran a fait parvenir à Washington une très importante proposition de coopération. «En échange de l’arrêt de l’attitude hostile des États-Unis, Téhéran, avec l’aval du Guide suprême, proposait notamment de cesser d’apporter son aide aux milices chiites du Hezbollah libanais ainsi qu’au mouvement islamiste du Hamas, d’user de son influence pour lutter contre Al-Qaïda, d’aider les États-Unis à créer des institutions gouvernementales non religieuses en Irak après la chute de Saddam Hussein, et promettait une totale transparence sur son programme nucléaire», explique Milad Jokar, analyste franco-iranien spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient associé à l’Institut de prospective et sécurité en Europe (IPSE). L’offre iranienne a finalement été refusée par l’administration Bush.

Pour la Suisse, ce mandat représente des avantages non négligeables. «Il donne du prestige à la diplomatie helvétique, de même qu’une crédibilité morale et politique», note Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite au Graduate Institute de Genève. La Suisse reçoit également une compensation financière pour ses services consulaires «en fonction de l’effort impliqué», indique le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). «Pour des raisons de discrétion et de confidentialité», cependant, aucun montant n’a été communiqué.

La représentation d’États tiers est une tradition helvétique qui remonte à la guerre franco-prussienne de 1870-1871. La Confédération représentait alors à Paris les intérêts du Royaume de Bavière et du grand-duché de Bade. Durant la Seconde Guerre mondiale, le nombre de mandats de ce type s’élevait à plus de deux cents. «Ce n’est donc pas un hasard si les États recourent souvent aux services directs, indirects ou officieux de la Suisse pour trouver des moyens de dialoguer et trouver des solutions diplomatiques aux problèmes rencontrés», remarque Mohammad-Reza Djalili. Aujourd’hui, la Suisse représente également les intérêts russes en Géorgie (et réciproquement). Son mandat le plus important reste cependant la défense des intérêts américains en Iran.

L’impact de celui-ci sur l’évolution des relations bilatérales entre Berne et Washington reste difficile à quantifier. Selon certains observateurs, le poids du mandat pourrait compter pour infléchir des décisions prises dans d’autres secteurs que la diplomatie. Tim Guldimann, cependant, tempère: «L’ambassadeur suisse à Téhéran a un accès privilégié au gouvernement américain, qui est très intéressé par son appréciation de la situation sur place. Mais cela ne signifie pas que les États-Unis sont plus cléments avec la Suisse grâce à ce mandat.» Son avis se vérifie notamment au niveau financier.

Le gouvernement américain s’est montré intransigeant envers les grandes banques helvétiques ces dernières années. À l’heure actuelle, celles-ci rechignent encore à effectuer des transferts monétaires en Iran. Le pays s’ouvre pourtant progressivement à l’étranger. Un accord commercial signé en 2005 a finalement été adopté en mars dernier par le Conseil national. Les exportations helvétiques vers le marché iranien, hors métaux précieux, ont quant à elles bondi de 24,7% à 294,9 millions de francs sur les sept premiers mois de 2017.

> Publié le 11 octobre sur lacite.info

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