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INTERVIEW – Depuis Gaza, Owen Breuil, coordinateur général pour la Palestine de Médecins du Monde, décrit le chaos alors que les combats ont repris. Arrivé il y a une semaine, juste avant la trêve de 72 heures entre Israël et le Hamas, il livre aussi ses impressions sur la reconstruction de la région et la façon dont les bénévoles gèrent les difficultés psychologiques du terrain.

Où en est-on après la reprise des hostilités vendredi ?
À Gaza City, où je me trouve actuellement bloqué, nous n’avons pas été directement touchés par la reprise des hostilités. En revanche, des avions et des drones nous survolent en permanence et des bruits d’explosion nous parviennent au loin. C’est très dur psychologiquement car tout le monde a l’impression que des frappes peuvent éclater à tout moment. Ici les gens sont réellement traumatisés et ont une peur bleue de la nuit car c’est là que les tirs sont les plus violents. Tout le monde est à bout et le retour, même moins fort, des tirs, est atroce pour les nerfs. Les gens craignent pour leur vie, leur famille, leurs enfants…

Quelle est l’étendue des dégâts?
Les destructions sont énormes et témoignent d’une violence extraordinaire. Toutes les infrastructures publiques ont été détruites. Mais ce qui surprend le plus, ce sont les habitations, les villas, les tours et de très grands bâtiments qui ont été totalement rasés. Nous avons également visité des centres hospitaliers clairement ciblés par des tirs, où la chambre d’un petit gamin par exemple avait été visée. Quand on entre on voit des petites chaussures, des petits vêtements, le lit défoncé…

«En Afghanistan, c’était aussi la guerre, mais quelques règles étaient respectées»

C’est quelque chose qui doit marquer…
J’ai été en Afghanistan. C’était aussi la guerre, mais quelques règles étaient respectées. Là, c’est vraiment terrible. C’est de loin le pire que j’ai vu. Mais ce qui est vraiment choquant c’est l’ampleur de la destruction. Lors des attaques précédentes, l’ampleur des dégâts n’était pas aussi importante. Les gens pouvaient retourner chez eux, réhabiliter leurs habitations. Aujourd’hui, il y a des tours entières de huit étages qui sont à terre.

Comment la population s’organise-t-elle pour survivre?
C’est difficile à dire. Il y a de gros manques d’eau. L’ONU s’organise pour ravitailler les populations mais la tâche est compliquée car il faut fournir tout le monde en eau. Il est plus facile de se procurer de la nourriture mais les gens n’ont pas d’argent. Il n’y a plus d’énergie et donc plus d’électricité. Certains hôpitaux, mais aussi des centres de santé plus rudimentaires que nous avons pu visiter, sont également complètement détruits alors que ce sont normalement des lieux sanctuarisés par les lois internationales.

Certaines ONG ont rapporté que la situation était « très périlleuse » pour le personnel humanitaire…
C’est sûr. Nous avons voulu tenir et rester mais nous n’avons pas pu. Seuls ceux qui travaillaient dans les hôpitaux sont restés, mais ils étaient en danger permanent. Parfois des bombes s’écrasaient à vingt mètres de l’endroit où des médecins se trouvaient, alors même qu’ils opéraient et étaient en contact direct avec les Israéliens pour leur communiquer leur position et leurs coordonnées afin de ne pas être pris pour cible.

«À Gaza, pour l’instant, il n’y a que des ONG»

Par rapport à la situation à Gaza, comment voyez-vous le futur?
Le futur est globalement très incertain. Même si nos mouvements sont limités suite à la reprise partielle des combats, nous allons mettre en place des cliniques mobiles et temporaires et collaborer entre ONG pour remplacer les hôpitaux détruits. Il faut opérer rapidement tous ceux qui en ont besoin et qui, sinon, vont se retrouver déformés à vie ou mourront d’infections. Côté infrastructures et reconstructions, nous nous demandons vraiment qui va payer. Certaines estimations évaluent les dépenses à venir autour de 5 milliards. La situation ressemble un peu à ce que nous avons connu en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais il y a eu le plan Marshall. À Gaza, pour l’instant, il n’y a que des ONG.

En tant qu’humanitaire, comment gérez-vous le fait d’assister à des scènes aussi violentes, traumatisantes peut-être?
Nous travaillons avec des psychologues spécialisés dans les traumatismes liés au retour de guerre, avec qui il est possible d’échanger par Skype ou par téléphone. Mais nous essayons surtout de nous concentrer sur notre travail, comment répondre à tous les besoins, comment espérer que le futur sera meilleur… C’est la seule chose que nous puissions faire. Nous faisons face à des personnes qui connaissent toutes au moins un proche victime des bombardements. Il faut écouter, comprendre, tout en essayant d’aller de l’avant. Mais surtout nous nous appelons plusieurs fois par heure pour nous supporter mutuellement, pour parler d’autre chose, de façon à se focaliser sur quelque chose, pour créer une autre dynamique et ne pas attendre passivement sous les bombes.

Martin Bernard – Le Journal du Dimanche(Article publié le 10 août 2014)

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