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Tout au long de sa vie, le journaliste Roger de Diesbach a porté haut et fort les couleurs de sa profession, essuyant toutes les critiques et supportant toutes les pressions. Il a été l’un des premiers journalistes d’investigation de son pays. « J’ai eu la chance de voir naître le journalisme d’investigation en Suisse, et de lui consacrer une bonne partie de ma vie professionnelle », écrit-il dans son livre « Presse futile, presse inutile – plaidoyer pour le journalisme » (2007).

Martin Bernard

23 avril 2016 – Né dans une famille de la bourgeoisie fribourgeoise, fils du commandant de corps Roch de Diesbach, Roger de Diesbach fait ses armes entre 1970 et 1975 à l’Agence télégraphique suisse (ats) où il dirige le service enquête et reportage. Il opère ensuite comme correspondant à Berne pour La Tribune de Genève – Le Matin, avant de fonder en 1986 le Bureau de reportage et de recherche d’information (BRRI), dans lequel il publie diverses enquêtes, notamment sur les contrats de la firme Pilatus. Il termine sa carrière en tant que Rédacteur en chef de La Liberté, de 1996 à 2004.

En 2007, dans son livre testament intitulé « Presse futile, presse inutile – plaidoyer pour le journalisme » (déjà cité ci-dessus), Roger de Diesbach décrit sans détours sa vision du journalisme, et ses craintes de le voir disparaître sous les coups de boutoirs des intérêts financiers et politiques. Extraits.

« Les mégaphones des pouvoirs… ne sont pas des journalistes »

« Notre objectif ambitieux est de vous entraîner dans ce monde très dur de la presse, de vous dévoiler les règles des journalistes, de défendre leur légitimité. La légitimité de lire sous les cartes des pouvoirs, de rechercher la vérité dans l’intérêt général, d’être de véritables agents de transparence et de démocratie. Les mégaphones des pouvoirs, moralistes, juges ou voyous ne sont pas des journalistes… » 

« Avec la baisse des recettes publicitaires, la vraie presse, celle qui n’oublie pas d’informer, est menacée par toutes sortes de gadgets gratuits. Coûteuse, dérangeante, la recherche d’informations est laminée par les coupes budgétaires. Certains éditeurs choisissent de donner dans le facile, les tripes, l’instinct primaire. Leurs rêves: des médias sans journalistes. Mais la panique de ces derniers n’y changera rien. Il est temps que les lecteurs eux-mêmes se révoltent contre cette presse qui les traite de demeurés. Qu’ils défendent l’esprit critique, la liberté d’expression, la démocratie. 

« L’allié objectif de la vérité »

« C’est tout le combat de l’info-passion contre l’info-marchand. Souvent débile, la presse futile est inutile. Si elle perd de sa crédibilité, la presse finira en paillasson. »

« Le journaliste n’est vraiment puissant que lorsqu’il est l’allié objectif de la vérité, que lorsqu’il la sert et permet enfin de la faire éclater. A y regarder de plus près, ce n’est pas le journaliste qui est puissant, ni son média, mais la seule vérité. C’est elle qui, parfois, permet de faire changer les choses. La beauté du métier de journaliste, c’est d’être chargé de rechercher la vérité, par procuration, pour ses lecteurs. Dans l’idéal, les journalistes sont les chargés de transparence de leurs lecteurs.

« Nous, journalistes, sommes aussi responsables de cette dérive : nous sacrifions trop souvent à la facilité, au politiquement correct, aux modes, au « people », aux coups journalistiques. Nous jouons aux politiciens, aux justiciers. Nous nous laissons trop facilement manipuler par les pouvoirs politiques et économiques qui nous transforment en mégaphones. Or, il n’y a de vrai journalisme sans recherche de la vérité, sans investigations qui se traduisent pas un énorme travail supplémentaire et toutes sortes de difficultés, sans compter des retombées parfois désastreuses pour celui qui aura mis son bâton dans les délicates fourmilières du pouvoir. »

« Les artisans de leur future inutilité »

« Il est temps de s’opposer aux éditeurs qui « débilitent » leurs médias pour maximaliser leurs bénéfices. S’ils veulent sauver leur profession, les journalistes doivent se mobiliser, se donner le courage de dire non. Ils passeront pour de doux rêveurs, des ennemis de l’économie, des ringards. Ils seront mal notés, mal vus par leur hiérarchie, ils devront céder les places qu’ils méritent aux lâches, aux béni-oui-oui, aux mous, aux opportunistes ambitieux. Et alors ? En laissant pourrir leur profession, les journalistes trahissent leur métier, leur code d’honneur, leurs lecteurs, auditeurs, téléspectateurs. Ils se font les artisans de leur future inutilité. »

« Je crois en l’avenir de la presse écrite, mais à condition de lui garder tout son sens et d’améliorer encore sa qualité, son originalité et ses prestations au service de l’information et de l’intérêt général. On ne pourra le faire sans les jeunes journalistes, sans les éditeurs. Par le biais des budgets, ces derniers détiennent l’argent, le nerf de la guerre du journalisme d’investigation. En coupant les finances, ils ont les moyens de supprimer la recherche d’information qui, pour être fructueuse, exige du temps donc de l’argent. Certains n’ont pas hésité à couper ce secteur, qui, paraît-il, provoque trop d’ennuis. Il leur reste le vent. »

Référence : De Diesbach, Roger, « Presse futile, presse inutile – plaidoyer pour le journalisme », Slatkine, 2007, 472 p

Copyright photo : Alain Wicht / La Liberté

 

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