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Avec Her, Spike Jonze nous relate l’amour futuriste entre un homme (Joaquin Phoenix) et une intelligence artificielle (Scarlett Johansson), dans une réflexion sur notre présent et notre rapport au virtuel.

Martin Bernard

26 mars 2014 – Il y a des films qui semblent plus en phase que d’autres avec leur temps, avec les réflexions et préoccupations qui traversent leur époque. C’est le cas de Her et de son ambiance futur rétro : un style des années 1930 (moustache et pantalons taille haute), combiné à une vie moderne (le film se déroule en 2025) ou chacun dialogue avec son intelligence artificielle.


Her c’est Samantha (Scarlett Johanson), une intelligence artificielle douée de sentiments humains, et dont la tâche est d’assister personnellement Théodore Twombly (Joaquin Phoenix), un talentueux rédacteur de lettre d’amour. Egaré dans une nostalgie destructrice, ce dernier est hanté par les souvenirs de son ex (Rooney Mara), son amour de jeunesse dont il s’est mystérieusement séparé. Un vide affectif comblé par le virtuel (jeux vidéo) et des relations amoureuses passagères. Avant l’achat d’un logiciel d’intelligence artificiel, et la rencontre avec Samantha…

Cette histoire unique est issue de l’imagination tourbillonnante de Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich, Jackass). Il y a une dizaine d’année, c’est au contact d’une messagerie vocale générée par une intelligence artificielle rudimentaire que le réalisateur commence à élaborer le scénario de son film. Un scénario qui permet à Jonze d’explorer plus à fond la sexualité métaphysique (faire l’amour à travers un autre corps) de Dans la peau de John Malkovich, et d’en développer une nouvelle, plus imaginative et romantique.

Dans la peau de Théodore Twombly, Joaquin Phoenix (Gladiator, Walk the line) est encore une fois excellent en homme tourmenté, dans un rôle complexe à la hauteur de son talent. Très souvent seul face à la caméra, filmé en gros plan, l’infinie variété de ses expressions façonnent un personnage foncièrement humain, dont la profondeur sentimentale détonne avec le monde lisse dans lequel il évolue. Pour le compléter, un collègue de travail et une voisine (Amy Adams), ainsi que Samantha, incarnée avec brio et justesse par la voie suave d’une Scarlett Johansson invisible.


Ce monde lisse, Jonze le met en relief par des plans longs et statiques (un peu trop parfois), mus uniquement par la sentimentalité de personnages perdus dans un décor urbain aseptisé. Comme dans ces scènes de tramway et dans la rue, ou les gens parlent à leur virtualité, une oreillette dans l’oreille, perdus dans leur conversation individuelle, indifférents à ce qui les entoure. Face à ce vide relationnel, derrière l’univers propret du monde futuriste de Spike Jonze, un sentiment de solitude et de malaise s’installe petit à petit ; solitude des personnages, enfermés dans leur monde virtuel, se croisant sans se regarder, perdus dans leur marche solitaire. Malaise aussi, face aux tourments de Théodore. Des tourments liés à un passé avec lequel il doit composer, et à un futur qui peine à se dessiner.


Tout au long du film (plus de deux heures), c’est la relation de l’homme au virtuel qui interroge ; une relation compliquée et ambiguë, à la frontière de la fuite et du refuge ; une projection vers un avenir possible aussi, qui dérange et interpelle. Ramenée au temps du spectateur, qui voit en ce début de XXIème siècle le développement exponentiel du numérique et des recherches scientifiques dans les domaines de l’intelligence artificielle, cette projection virtuelle est de l’ordre du possible, un possible attirant ou effrayant, selon les sensibilités.

Loin d’être un film futuriste, Her n’est pas une fantaisie abstraite. Her ne décrit pas une utopie lointaine et irréaliste, mais le présent, notre présent, qui se conjugue au futur pour et par le virtuel, cette dictature impersonnelle vers laquelle nous nous dirigeons avec consentement. Troublant certes, effrayant quelque peu, mais aussi réconfortant, réconfortant de se dire qu’il est encore possible de serrer dans nos bras les êtres qui nous sont chers. Pendant qu’il en est encore temps.

 

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